L’hôpital Joseph-Ducuing, héritier de la résistance espagnole
Dans le quartier Saint-Cyprien, l’hôpital Joseph-Ducuing est un témoin de la forte présence de réfugiés républicains espagnols à Toulouse à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après le coup d’État de Franco et la guerre civile, beaucoup de républicains espagnols se réfugient en France, notamment à Toulouse. Nombreux sont ceux qui rejoignent la Résistance lors de la Seconde Guerre mondiale en intégrant les Forces Françaises Intérieures (FFI).
L’hôpital des unités de résistance espagnoles
En 1944, l’état-major de l’Agrupacion de guerilleros españoles FFI de Toulouse crée un hôpital dans un château de la rue de Varsovie. Baptisé tout simplement hôpital Varsovie, il accueille les blessés des unités de résistants espagnols qui sont soignés par des médecins catalans, également membres de la Résistance. En octobre de la même année, l’opération Reconquista de España, visant à renverser Franco, reçoit un coup d’arrêt définitif avec la tentative ratée de l’invasion du Val d’Aran. Les blessés affluent à Toulouse, où ils sont pris en charge à l’hôpital Varsovie. L’établissement fonctionne alors avec des médecins bénévoles et des fonds obtenus grâce à un mouvement de solidarité international, notamment emmené par les organisations américaines Unitarian Service Committee (Usc) et Joint Anti-Fascist Refugee Committee (Jafrc). Celle-ci compte parmi ses membres les plus éminents Albert Einstein, Pablo Picasso, Leonard Bernstein, ou encore Eleanor Roosevelt. L’hôpital reçoit aussi le soutien d’artistes et d’intellectuels français comme le poète Paul Eluard.
Des soins gratuits pour les réfugiés
À la fin de la guerre, Toulouse compte environ 200 000 réfugiés espagnols. Désormais, tous, civils ou militaires, peuvent être soignés gratuitement à Varsovie qui devient un hôpital civil. L’ensemble du personnel est espagnol, pour la plupart communiste, et n’est pas autorisé à soigner d’autres patients que ses compatriotes.
Victime de la Guerre froide
En 1950, le conflit larvé entre les blocs soviétique et occidental conduit en France à l’interdiction et l’arrestation des associations étrangères suspectées d’entretenir des liens avec les communistes. L’Amicale des anciens FFI et résistants espagnols, qui gère l’hôpital, est dissoute et l’équipe de direction ainsi que plusieurs médecins sont arrêtés et déportés en Corse, puis en Algérie. En outre, l’hôpital perd également ses soutiens américains, à cause du maccarthysme.
Pour une médecine sociale
La direction est aussitôt confiée au professeur Joseph Ducuing. Très vite, une nouvelle résistance, médicale, s’organise autour du professeur pour préserver l’idée, chère à l’établissement, d’une médecine humaine accessible à tous. Une association à but non lucratif, les Amis de la médecine sociale, est créée et devient le nouveau gestionnaire de l’hôpital. En 1976, l’hôpital désormais baptisé Joseph-Ducuing intègre le service public hospitalier.
Texte de Viviane Bergue
Quel rapport existe-t-il entre le quartier Saint-Cyprien et Eleanor Roosevelt, Einstein, ou encore Irène Joliot-Curie ?
C’est au 15 de la rue Varsovie que se trouve la réponse… En effet, la petite « folie » construite au XIXe dont seule la façade subsiste, fut le siège de l’Hospital Varsovia fondé à l’automne 1944 à la libération de Toulouse, et que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Joseph-Ducuing…
En 2014, l’institution fêtait ses 70 ans ce qui fut l’occasion de rappeler l’histoire atypique de cet hôpital militaire privé (60 lits), fondé par 25 médecins et infirmières bénévoles, tous membres communistes de la communauté espagnole antifranquiste, en exil à Toulouse. Leur mission ? Soigner leurs compatriotes maquisards et résistants, membres des forces françaises de l’intérieur (FFI) et des unités de guerilleros qui combattirent contre le joug allemand. Mais aussi tous ceux qui tentèrent, à la même époque, de reprendre la lutte contre Franco lors de la Reconquista, dans le Val d’Aran ou encore les rescapés des camps de concentration… Et, autre fait notable, c’est une femme, le docteur Maria Gomes Alvarés, originaire des Asturies, qui est nommée chef du service de chirurgie.
Après-guerre l’hôpital, propriété de « l’Amicale des anciens FFI et résistants espagnols », obtient le droit de soigner, toujours gratuitement, les civils espagnols exilés dans la région et dont les conditions de vie sont souvent dramatiques. Soutenu par un énorme élan de solidarité internationale, en Europe comme par de nombreux pays d’Amérique du nord et du sud, l’Hospital Varsovia fonctionne grâce aux dons de personnalités telles que Picasso, Eluard, Irène Joliot-Curie et tant d’autres, engagées dans la lutte antifasciste. C’est là que la communauté espagnole de Toulouse et des environs viendra chercher soins, aides et réconfort.
Mais l’histoire de l’hôpital ne s’arrête pas là… En septembre 1950, dans le contexte de la Guerre froide, les Espagnols en exil sont mal, très mal vus : leur activisme militant, anarchiste mais surtout communiste, leur vaut les persécutions des autorités françaises. Une véritable chasse aux sorcières s’organise et quelque 420 arrestations ont lieu, dont les médecins de l’hôpital. « L’Amicale des anciens FFI et résistants espagnols », jugée subversive, est dissoute. La direction de l’établissement est confiée en catastrophe au Professeur toulousain Joseph Ducuing qui se battra pendant de nombreuses années pour éviter la fermeture de ce singulier hôpital. En 1951 « la Société nouvelle Varsovie » voit le jour tandis qu’en 1955 « l’Association des amis de la médecine sociale » est fondée.
En 1976 l’hôpital est intégré au service public hospitalier et prend le nom de Joseph Ducuing-Varsovie. L’établissement continue à exercer une médecine sociale, accessible à tous, comme le rêvaient ses fondateurs. Seules deux plaques discrètes sur la façade, quelques autres disséminées ça et là, les tours du château, rappellent au visiteur cette remarquable et héroïque entreprise humaine, entre guerre d’Espagne et deuxième conflit mondial, fil rouge entre passé et présent, soulignant encore une fois la richesse de notre quartier…
Texte de Christilla Forzy